Une volonté de contester les médias mainstream

« Il y a une multitude de raisons qui expliquent le discrédit porté à la presse depuis sa naissance. La première réside dans la méfiance des politiques vis-à-vis des journalistes : ils se servent de la presse pour éviter que le discrédit ne porte sur eux. Ensuite, il y a la concurrence entre littérature et presse. Dans le cas des Gilets jaunes, nous pouvons surtout l’expliquer par la concurrence entre le lecteur et le journaliste. Depuis le 18ème siècle, les passionnés d’information estiment que le journaliste n’a pas plus de légitimité et de compétences qu’eux. Aujourd’hui, avec l’usage d’Internet, des smartphones et des réseaux sociaux, les lecteurs disposent des mêmes outils pour informer et s’informer. Il est maintenant possible pour les lecteurs de rivaliser techniquement avec des journalistes. Par ailleurs, l’usage des médias alternatifs par les Gilets jaunes est le symbole d’une volonté de contester les médias mainstream du paysage français. » Alexis Lévrier, historien des médias.

 

« Les journalistes ont toujours un peu tendance à l’auto-justification. C’est souvent d’ailleurs ce qui leur est reproché dans le débat public aujourd’hui sur la confiance dans les médias et la confiance dans les journalistes. » Jean-Marie Charon, sociologue. 

 

Il y a un fond de défiance, et des moments où la crispation augmente encore davantage

« La crise de confiance est assez ancienne. J’ai participé à l’élaboration du baromètre sur la confiance des Français, en 1987 dans la revue Médias Pouvoirs, qui fait partie du groupe Bayard. (…) Même si les chiffres actuels ne sont pas très différents, lorsque des mouvements sociaux apparaissent (comme les Gilets Jaunes), le sondage est immédiatement beaucoup plus mauvais que les précédents. Par exemple, la télévision est à 38% de confiance alors qu’avant elle était à 55%. La baisse de confiance est très importante. Les chiffres de la presse écrite et de la radio sont quant à eux plus ou moins similaires. A chaque fois qu’il y a des débats forts, soit parce qu’il y a des crises sociales, soit parce qu’il y a de « grosses bourdes » en matière de traitement de l’information, on le repère dans le baromètre. Des « grosses bourdes » comme par exemple la guerre du Golfe ou Jean-Marie Le Pen en 2002. Il y a un fond de défiance, et des moments où la crispation augmente encore davantage. » Jean-Marie Charon, sociologue.

 

La défiance n’est plus uniquement verbale et intellectuelle

« Ce qui paraît nouveau dans la défiance, c’est qu’elle n’est plus seulement verbale et intellectuelle comme elle l’était jusqu’ici. En 2002 les gens manifestaient, mais ils ne frappaient pas les journalistes. On commence à voir apparaître ces phénomènes de violence avec la crise des banlieues où des journalistes de télévision se font frapper, des caméras sont cassées, des voitures de chaînes de télévision sont vandalisées. Des journalistes de presse écrite se font également frapper. »  Jean-Marie Charon, sociologue.

 

Le journalisme n’est plus là pour chercher à comprendre mais pour exciter les esprits

« Cette course effrénée au clash, au buzz, n’est pas sans rapport avec ce qui se passe actuellement et qui nourrit la défiance envers les médias. J’ai parfois l’impression que le journalisme n’est plus vraiment là pour chercher à comprendre mais surtout pour exciter les esprits… » Marie Peltier, historienne spécialiste des complotismes.

 

Un discours alternatif, profondément hostile à la démocratie, très présent au sein des Gilets jaunes

« C’est un terreau qui s’est formé progressivement, et qui émane de la défiance généralisée à l’égard de la démocratie. Pour moi, il puise sa source dans tout ce qui a suivi le 11 septembre 2001. Les politiques sécuritaires, les interventions à l’international et le fameux mensonge en 2003 de Bush, l’obsession autour de l’Islam, et cette impression permanente que le pouvoir ment pour servir ses intérêts. Tout cela s’inscrit dans une même séquence politique, instrumentalisée par des discours de propagande, des discours d’extrême droite et par les soutiens de régimes autoritaires, pour proposer un contre récit où politiques et médias travailleraient ensemble pour perpétuer des injustices anciennes. Ce discours alternatif, profondément hostile à la démocratie, est très présent au sein des Gilets jaunes. » Marie Peltier, historienne spécialiste des complotismes.

 

Il y a clairement une responsabilité de Facebook sur la problématique des fake news

« Les Gilets jaunes sont présents sur des groupes clos sur ce réseau social, où il y a très peu de contrôle de l’information, ce qui alimente la propagation de fake news. Il y a clairement une responsabilité de Facebook sur la problématique des fake news. »Alexis Lévrier, historien des médias.

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